Les 5 principales sources de données en médecine

13 avril 2020 - 10 minutes de lecture

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La connaissance, un bien précieux

La connaissance est définie par l’ensemble des choses que l’on a appris (et que l’on a pas oubliées). En médecine, elle nous permet de faire des diagnostics et de proposer des prises en charge. Ceux-ci suivent des règles, apprises à la faculté et mises à jour continuellement au cours de la pratique professionnelle.

"C'est à travers une série continue de contradictions et d'oppositions entre l'expérience et la théorie que (la connaissance) trouve les conditions nécessaires de son développement."

Ecrivait Paul Langevin (1872-1946), physicien et philosophe des sciences, inventeur et promoteur des grandes théories de la physique du siècle dernier, et dont les cendres reposent au Panthéon.

Mais comment se structure la connaissance en médecine ?

L’enseignement initial facultaire des maladies s’articule autour de cours théoriques (les premières années, par l’étude des grands mécanismes physiopathologiques et leurs dysfonctionnements) et de l’analyse de cas typiques (ou vignettes) [1] [2]. Par la suite, à des connaissances plus fines de chaque pathologie vient s’ajouter l’expérience clinique individuelle. Ainsi, le nombre de cas de patients vus par le praticien pour une pathologie donnée, et leur diversité par rapport aux patients moyens enseignés complètent sa connaissance théorique des maladies. Il devra alors poursuivre sa formation toute sa carrière professionnelle et continuer d’absorber des connaissances de façon à prendre les meilleures décisions pour ses patients.

La prise de décision en médecine

Le diagnostic des maladies dans la vraie vie et la prise en charge qui en découle ne sont pas toujours simples. Le diagnostic répond à une confrontation entre les symptômes (histoire clinique) et signes du patient, le contexte médico-psycho-social, les résultats de quelques examens complémentaires et la connaissance théorique et pratique que nous en avons, permettant de classer le patient dans telle ou telle catégorie de maladies (approche probabiliste) [3]. Les décisions de soins doivent ensuite être fondées sur des schémas de prise en charge élaborés a priori et scientifiquement valides. Si cela est plus facile avec l’expérience, le médecin aura tout le temps des patients singuliers. Ainsi, nos décisions peuvent varier selon les circonstances, et d'un patient à l'autre avec les mêmes circonstances ; c’est ce que soulignent les dernières avancées en matière de médecine basée sur les preuves [3] ; cette dernière se définissant comme « l'utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse des meilleures données disponibles pour la prise de décisions concernant les soins à prodiguer à chaque patient. » Elle complète la médecine personnalisée ou médecine 4P, alors nommée médecine 5P (voir Encadré 1).

Encadré 1 : Les attributs de la médecine personnalisée.
La médecine 4P est personnalisée, tenant compte des profils biologiques (génétique, protéique…) d’un individu.
La médecine 4P est préventive, anticipant la maladie, favorisant les comportements bénéfiques pour une bonne santé.
La médecine 4P est prédictive, indiquant les prises en charge les plus appropriées et les moins délétères pour le patient.
La médecine 4P est participative, amenant les patients à être responsables de leur santé et de leurs soins.
La médecine 5P est une médecine pertinente, fondée sur les preuves d’un service médical rendu aux patients, c’est la médecine de l’ère du numérique.
La médecine 6P est une médecine prenant en compte le parcours du patient.

Les sources de connaissance en médecine sont nombreuses

En s’inspirant de Mark Tonelli [4], professeur à l’université de Washington, Seattle, on peut en distinguer au moins cinq (voir Encadré 2). Elles peuvent toutes intervenir dans la prise de décision du praticien pour un patient donné. Chacune a ses forces et ses limites dans la prise de décision. Ainsi, les données de la recherche clinique permettent de mesurer l’effet d’un traitement au-dessus de l'effet placebo ; elles sont considérées par beaucoup (incluant les agences gouvernementales du médicament et de nombreuses sociétés savantes) comme le niveau de preuve le plus élevé, puisque c’est la situation de contrôle maximum des biais. Elles sont à la base des principaux guides de traitement des maladies. Elles permettent de valider une prise en charge thérapeutique dans une population restreinte de patients. Elles n’ont cependant souvent pas d'application directe pour un patient individuel, elles sont fixées dans le temps et le lieu et elles se contredisent parfois. Enfin, il y a des situations dans lesquelles elles sont impossible à réaliser (voir paradoxe du parachute, [5]) ou elles n’existent pas, comme par exemple dans certaines maladies rares, de nombreuses situations en pédiatrie et finalement toutes les procédures diagnostiques (ou presque). Les données de l’expérience clinique, dites en vraie vie, autorisent l’inclusion d’un large éventail de patients (dont plus de 90% seraient exclus d’un essai clinique), soulignent les interactions entre les multiples caractéristiques des patients, les préférences, le mode de vie et les résultats du traitement. Elles permettent une évaluation des coûts, des résultats cliniques particuliers (effet long terme par exemple) ou dans des circonstances parfois impossibles à valider en recherche clinique. Elles exposent cependant à de nombreux biais (l’absence de randomisation réduisant la validité interne des données, il y a peu ou pas de contrôle sur la qualité de la collecte de données). Elles sont ainsi classées comme niveau de preuves faibles par beaucoup. La vraie question qui se pose finalement c’est pourquoi opposer ces sources de données plutôt que de les associer dans la prise de décision ?

Encadré 2 : Les différentes sources de connaissance en médecine.
Les données de la recherche clinique, avec les résultats de l’ensemble des études en double-aveugle contre placébo ; des revues systématiques et méta-analyses.
Les données de l’expérience clinique, personnelle, individuelle et collective ; ce sont les données dites « en vrai vie ».
Les données des grands principes physiologiques et physiopathologiques, permettent un raisonnement et une prise en charge selon les mécanismes connus qui sous-tendent la maladie.
Les données issues des expériences / préférences / objectifs et valeurs du patient lui-même.
Les données des caractéristiques du système, qui comprennent les barrières culturelles, socio-économiques, logistiques et juridiques.

La médecine est un art au sens artisan du terme

Le médecin ne peut pas baser ses décisions uniquement sur des statistiques et les résultats d’études de recherche clinique. Les solutions proposées pour faire face à la complexité et à l’incertitude médicales ne se résument pas au suivi de guides de prise en charge uniquement fondés sur des études en double aveugle contre placebo. Nous avons besoin de plusieurs sources de preuves. Nous ne devrions en exclure aucune. Ces solutions associent la formation (initiale et continue), l’optimisation du parcours de soins avec une prise en charge en réseau, la confrontation des différentes sources de connaissances, l’implémentation de protocoles et guides de diagnostic et de traitement et la collaboration entre professionnels. Ainsi, pourquoi ne pas partager cette décision avec des collègues quand la situation est complexe et/ou nouvelle ? Cette approche plus collective de la médecine a gagné en légitimité ces dernières années, par rapport à la figure traditionnelle du médecin décidant seul de façon autonome et accordant une primauté à son expérience personnelle et ses connaissances acquises en médecine [1]. La médecine 5P, basée sur le numérique, doit pouvoir nous aider. Les initiatives sont légion.

La solution AdviceMedica est une de ces solutions ; elle est basée sur un constat très simple : (i) on nous enseigne à la faculté le cas moyen or en pratique tous nos cas dévient de ce cas moyen pédagogique ; (ii) en fonction de nos connaissances, de notre expérience, il est des cas pour lesquels nous avons besoin de conseils, d’avis ; (iii) les médecins ont l’habitude de s’entraider dans la gestion des cas inhabituels ; (iv) la non résolution des cas complexes est source d’erreurs médicales. AdviceMedica fournit une solution de communication asynchrone en réseaux et permet à des médecins d’échanger sur les cas complexes qu’ils rencontrent. C’est une solution d'entre aide collaborative, de télé-expertise communautaire pour la résolution de cas difficiles faisant appel à la mémoire collective, agrégeant les connaissances et expériences de plusieurs médecins.

  1. Schmidt HG, Norman GR, Boshuizen HP. A cognitive perspective on medical expertise: theory and implications. Acad Med 1990; 65: 611-21.
  2. Demoly M, Bourrain JL, Demoly P. La complexité médicale appliquée à l’allergologie : causes et solutions. Rev Fr Allergol 2019; 59: 336-40.
  3. Haynes RB, Devereaux PJ, Guyatt GH. Physicians' and patients' choices in evidence based practice. BMJ 2002; 324: 1350.
  4. Tonelli MR. Integrating evidence into clinical practice: an alternative to evidence-based approaches. J Eval Clin Pract 2006; 12: 248-56.
  5. Smith GC, Pell JP. Parachute use to prevent death and major trauma related to gravitational challenge: systematic review of randomised controlled trials. BMJ 2003; 327: 1459-61.

Vignette auteur

Pascal Demoly

Coordinateur scientifique pour AdviceMedica.
Docteur en médecine, professeur de pneumologie, allergologue et chef de département au CHU de Montpellier.