La complexité médicale explicitée

20 janvier 2020 - 10 minutes de lecture

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L’approche diagnostique en médecine

L’approche diagnostique initiale et la prise en charge des maladies sont le plus souvent probabilistes, par confrontation entre (i) les symptômes de l’histoire clinique, les antécédents, les signes du patient, le contexte médico-psycho-social, les résultats de quelques examens complémentaires, et (ii) la connaissance théorique et l’expérience du médecin [1]. Qu’est-ce qui fait alors qu’un cas va être complexe et est-ce fréquent ?

Le dictionnaire Larousse nous apprend qu’une chose complexe « contient plusieurs parties ou plusieurs éléments combinés d'une manière qui n'est pas immédiatement claire pour l'esprit ; c’est compliquée, difficile à comprendre ».

Les sources de complexité médicale

Il y a deux grandes sources de complexité dans le diagnostic et la prise en charge des maladies ; elles interagissent (Encadré 1) et sont génératrices de retards diagnostiques et de mauvaises stratégies thérapeutiques et donc d’augmentation des coûts et des erreurs médicales. Si celles liées au système de santé ont un poids considérable [2] [3], la complexité du cas lui-même est loin d’être négligeable et est pourtant presque toujours occultée dans les nombreuses études dans ce domaine.

Encadré 1 : Les sources de complexité en médecine.
Complexité extrinsèque, liée à l’organisation des soins :
    •    Surcharge et mauvaise coordination des équipes de santé
    •    Conflits dans les décisions
    •    Défaut de compétence (de base ou experte)
    •    Information urgente nécessaire et/ou déroutante, conflictuelle, surabondante ou inutile
Complexité intrinsèque, liée au patient :
    •    Présentation inattendue d’un cas habituellement fréquent
    •    Maladies rares
    •    Trop d’étapes pour arriver au diagnostic de certitude
    •    Trop nombreux diagnostics différentiels possibles
    •    Comorbidités et polymédication
    •    Facteurs de risque psychosociaux et info-communicationnels
    •    Facteurs de risque socio-économiques


Donnons pour exemple cette étude prospective en soins primaires [4], réalisée à Boston dans un des hôpitaux d’Harvard, au cours de laquelle 40 médecins ont examiné un échantillon aléatoire de plus de 4000 patients et analysé les facteurs de complexité retrouvés chez les 26,2% qu’ils ont classés comme complexes. Leur modestie ne leur a clairement pas fait analyser tous les facteurs ! Les facteurs psychosociaux (santé mentale, consommation de substances psychoactives, couverture sociale) ont été identifiés comme les problèmes majeurs chez les patients plus jeunes, tandis que le défaut de coordination des soins et les multi-pathologies prédominaient chez les personnes plus âgées.

La complexité en médecine est attendue

L’être humain est en effet complexe par nature (et à tous les niveaux, génétique, épigénétique, métabolomique, exposomique, culturel, socio-économique) et à cela s'ajoute la complexité des systèmes de santé. La littérature sur la complexité en médecine fait souvent référence à la théorie mathématique du chaos [5] ou à la théorie de l’habitat (cynefin framework) de David Snowden [6], et donc uniquement à la complexité des systèmes de façon à organiser les soins de manière plus efficiente et moins coûteuse (Encadré 2). Nous avons ici volontairement exclu de notre propos la complexité dans la compréhension (le pourquoi) des maladies et nous sommes centrés autour du diagnostic (le c’est quoi) et la prise en charge des malades.

Encadré 2 : Théories de la complexité des systèmes.
•    Théorie du chaos : étudie le comportement des systèmes dynamiques très sensibles aux conditions initiales et propose des modèles et équations mathématiques.
•    Théorie de l’habitat : offre cinq contextes décisionnels : désordonnés (inclassables), chaotiques (les causes et effets ne sont pas clairs), complexes (les causes et effets ne sont connus qu’à posteriori), compliqués (des relations de cause à effet existent et nécessitent analyse et expertise), et simple (les relations de cause à effet sont évidentes, des règles sont en place) pour aider les gestionnaires à identifier comment ils perçoivent les situations, les comportements des individus et à prendre des décisions. Au fur et à mesure que les connaissances augmentent, il y a un déplacement dans le sens des aiguilles d'une montre, d’un système chaotique à des systèmes de moins en moins complexes.


Mais revenons aux médecins et à la complexité médicale intrinsèque. Après une formation théorique sur les grands tableaux physiopathologiques des maladies, il a appris à raisonner autour de cas typiques (ou vignettes) d’une maladie [7] [8]. Des connaissances plus organisées et une compréhension plus fine de chaque pathologie sont venues avec l’expérience clinique individuelle, le nombre de cas de patients vus pour une pathologie donnée et leur diversité par rapport à ce profil de patient moyen. Les décisions de soins suivent les guides de prise en charge élaborés a priori et scientifiquement valides. Cependant, le médecin est tout le temps confronté à des patients singuliers. Ainsi, ses décisions varient selon les circonstances, et d'un patient à l'autre avec les mêmes circonstances ; c’est ce que autorisent les dernières avancées en matière de médecine basée sur les preuves [9].

Comment maîtriser la complexité médicale intrinsèque ?

Les solutions proposées pour y faire face regroupent (i) la formation (initiale et continue), (ii) l’optimisation du parcours de soins avec une prise en charge en réseau, (iii) l’implémentation de protocoles et guides de diagnostic et de traitement, à termes aidés par les outils de l’intelligence artificielle et (iv) la collaboration entre professionnels. Une approche plus collective de la médecine a clairement gagné en légitimité ces dernières années, par rapport à la figure traditionnelle du médecin décidant seul de façon autonome et accordant une primauté à son expérience personnelle [7] [8].

La collaboration entre professionnels est particulièrement appréciée par les praticiens ; elle prend en compte la spécificité d’un patient particulier. Elle est prévue dans deux articles du code de santé publique (articles R.4127-32 et R.4127-33 du code de la santé publique). Elle est la base des réseaux de soins et de la médecine stratifiée en niveaux (de proximité avec généralistes et pédiatres généralistes et de recours avec spécialistes et hyper/sur-spécialistes). L’analyse collective des cas patients est l’étape suivante ; encore peu généralisée elle se démocratise peu à peu. Elle met en avant la notion d’expertise et de lien aux centres et personnes de références.

La plateforme AdviceMedica fournit une solution de communication asynchrone en réseaux et permet à des médecins d’échanger sur les cas complexes qu’ils rencontrent. Elle prend en compte plusieurs facteurs de complexité, à la fois intrinsèques et extrinsèques (Encadré 1). C’est une solution d'entre aide collaborative, de télé-expertise communautaire pour la résolution de cas difficiles faisant appel à la mémoire collective, agrégeant les connaissances et expériences de plusieurs médecins. Ces cas résolus sont stockés et pourront bénéficier à l’avenir de recherche de similarités et par fouille profonde de façon à obtenir des réponses instantanées.

La solution AdviceMedica de gestion des cas complexes est basée sur un constat simple : (i) on nous enseigne à la faculté le cas moyen or en pratique tous nos cas dévient de ce cas moyen pédagogique ; (ii) en fonction de notre capacité de mémorisation, de notre expérience, il est des cas pour lesquels nous avons besoin de conseils, d’avis ; (iii) la non résolution des cas complexes est source d’erreurs médicales, de procès et de dévalorisation de la profession ; (iv) nous sommes tous experts dans un domaine ; (v) les médecins ont l’habitude de s’entraider dans la gestion des cas inhabituels.

  1. Ghosh AK. Understanding medical uncertainty: a primer for physicians. JAPI 2004; 52: 739-42.
  2. Safford MM, Allison JJ, Kiefe CI. Patient complexity: more than comorbidity. the vector model of complexity. J Gen Intern Med. 2007; 22: S382-90.
  3. Shippee ND, Shah ND, May CR, Mair FS, Montori VM. Cumulative complexity: a functional, patient-centered model of patient complexity can improve research and practice. J Clin Epidemiol 2012; 65: 1041-51.
  4. Grant RW, Ashburner JM, Hong CS, Chang Y, Barry MJ, Atlas SJ. Defining patient complexity from the primary care physician's perspective: a cohort study. Ann Intern Med 2011; 155: 797-804.
  5. https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_chaos
    [6] Snowden DJ, Boone ME. A Leader’s Framework for Decision Making, Harvard Business Review, November 2007.
  6. Schmidt HG, Norman GR, Boshuizen HP. A cognitive perspective on medical expertise: theory and implications. Acad Med 1990; 65: 611-21.
  7. Demoly M, Bourrain JL, Demoly P. La complexité médicale appliquée à l’allergologie : causes et solutions. Rev Fr Allergol 2019; 59: 336-40.
  8. Haynes RB, Devereaux PJ, Guyatt GH. Physicians' and patients' choices in evidence based practice. BMJ. 2002; 324: 1350.

Vignette auteur

Pascal Demoly

Coordinateur scientifique pour AdviceMedica.
Docteur en médecine, professeur de pneumologie, allergologue et chef de département au CHU de Montpellier.