C'est quoi un expert en médecine ?

3 février 2020 - 7 minutes de lecture

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En cas de doute, il est indispensable de demander l’avis d’une personne plus compétente, d’un expert. C’est fréquemment le cas dans le bâtiment, en justice, en finances et dans notre domaine, la santé humaine. Mais qu’est-ce qu’un expert en médecine ?

Définition de l'expertise médicale

L’origine étymologique du mot le lie au concept de preuve et à celui d’expérience. En effet, le mot expert dérive du latin expertus « éprouvé, qui a fait ses preuves » ; il est le participe passé de experiri « faire l'essai de » dont dérivent aussi les mots expérience et expérimenter. Un expert c’est donc une personne qui a plus de savoir sur un sujet précis, et qui a fait ses preuves de par son expérience pratique.

La médecine progresse vite, les situations et présentations cliniques sont nombreuses. Avec l’expérience certains d’entre nous sont devenus experts dans des domaines précis, mais le champ de la médecine est vaste et l’expertise forcément limitée. Notre attitude vis-à-vis d’un cas complexe, déviant de la moyenne attendue pour une maladie donnée, dépend (i) de notre formation initiale, à l’hôpital universitaire puis continue tout au long de notre vie, (ii) de notre expérience professionnelle, mais aussi (iii) de nos capacités intrinsèques nous permettant de mémoriser et d'utiliser la connaissance médicale. Les sources d’information en médecine sont nombreuses et les connaissances s’actualisent en permanence. Ces sources sont parfois même contradictoires et se mettre à jour reste très chronophage, aussi important que cela soit. Si bien que notre expérience peut ne pas être suffisante devant un cas complexe. La formation continue n’est pas la seule façon d'appréhender la complexité médicale.

L'expertise médicale au secours de la complexité médicale

La complexité médicale peut être source de retard diagnostique et de mauvaises stratégies thérapeutiques et donc d’augmentation des erreurs médicales et des coûts. Ces erreurs peuvent être liées aussi bien au patient, ses conditions de vie, son état psychologique, sa pathologie, qu’aux médecins et modes de prises en charge ([1], [2], [3]). Conséquence parfois de la complexité médicale, l’erreur médicale (diagnostique ou thérapeutique) par défaut de connaissances et le non recours à un tiers, un expert, est considérée par le législateur comme une perte de chance pour le patient et est condamnable juridiquement.

L’expertise médicale, largement étudiée par les sociologues médicaux ([1], [2], [4], [5]), est associée à une meilleure structure et représentation mentale des maladies, des cas patients et à une capacité à reconnaître les cas éloignés de la norme [1]. L’expertise consiste donc à mesurer des écarts par rapport à des normes conventionnellement admises. Voyons comment tout cela se met en place dès les études médicales.

L'apprentissage de la complexité en médecine

L’apprentissage initial en médecine est théorique ; il vise à la compréhension et à l’intégration des grands tableaux physiopathologiques et des grandes classes de maladies sous une forme synthétique. La formation se poursuit ensuite sous forme d’enseignements dirigés de façon à introduire les différentes maladies (classes) et les formes qu'elles peuvent prendre (instances). Comme en programmation informatique, une instance est une occurrence d’une classe. Une classe permet de définir les comportements d’un objet théorique, l’instance est la manifestation dans le monde réel de cet objet. L’asthme est par exemple une classe et ses différentes présentations cliniques (phénotypes) sont des instances. Chaque asthmatique est en fait une instance et le praticien sait très bien qu’aucun asthmatique ne ressemble parfaitement à un autre asthmatique. En médecine, un illness script est une représentation que chaque clinicien conçoit qui décrit et résume sa connaissance d'une maladie. Sur cette structure cognitive élaborée de représentation des maladies, le jeune médecin va ancrer de nouvelles informations issues de sa pratique.

Le recours à un expert médical

L’expertise médicale est donc liée au nombre d’instances vues, à la capacité de mémorisation de chaque praticien et à la capacité d’établir des similarités entre le cas présent éloigné de la norme et des cas passés. Nous sommes donc tous potentiellement des experts de telle ou telle maladie, stratégie diagnostique ou thérapeutique. L’expert a déjà vu des cas similaires et les a mémorisés. Il peut cependant commettre des erreurs, particulièrement s’il ne fait pas assez attention aux détails et prend des raccourcis [1], d’où l’intérêt d’une analyse collective des cas complexes.

En pratique quotidienne, il est difficile de faire appel trop fréquemment aux experts. Les patients n’apprécieraient d’ailleurs pas de multiplier les visites, et pourraient perdre confiance en leur médecin. Envoyer fréquemment ses patients à un expert n’est pas raisonnable, en nrevanche, obtenir leurs avis de façon asynchrone est une solution envisageable.

  1. Schmidt HG, Norman GR, Boshuizen HP. A cognitive perspective on medical expertise: theory and implications. Acad Med 1990; 65: 611-21.
  2. Ghosh AK. Understanding medical uncertainty: a primer for physicians. JAPI 2004; 52: 739-42.
  3. Demoly M, Bourrain JL, Demoly P. La complexité médicale appliquée à l’allergologie : causes et solutions. Rev Fr Allergol 2019; 59: 336-40.
  4. Fox RC. The Evolution of medical uncertainty. Milbank Mem Fund Q Health Soc 1980; 58: 1-49.
  5. Castel P. La gestion de l’incertitude médicale : approche collective et contrôle latéral en cancérologie. Sciences Sociales et Santé 2008; 26: 9-32.

Vignette auteur

Pascal Demoly

Coordinateur scientifique pour AdviceMedica.
Docteur en médecine, professeur de pneumologie, allergologue et chef de département au CHU de Montpellier.