Intelligence artificielle et pratique médicale

22 juin 2020 - 8 minutes de lecture

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Un afflux de données médicales

Le monde de la santé change, plus de données sont disponibles… ces données permettent de réfléchir en dehors des principes habituels (tel que tester une hypothèse construite a priori) pour la recherche des causes et facteurs de risque des maladies. Dans un avenir proche, elles devraient aussi aider au diagnostic et à la prise en charge d’un patient individuel, et donc à une réelle médecine de précision, centrée autour d’un patient unique.

Mais comment gérer toutes ces données quand les médecins sont peu nombreux, moins expérimentés en début de carrière ou face à un cas inhabituel et ont si peu de temps ? C’est là où les outils d’aide à la décision prennent toute leur place. Ils appartiennent globalement à ce qu’on appelle l’intelligence artificielle (IA), dont les applications dépassent bien entendu largement le cadre de la médecine.

L'intelligence artificielle comme outil d'aide médicale

Le monde de la santé est sûrement l’un des secteurs où les enjeux de l’IA sont les plus importants [1]. Depuis la définition restrictive en 1956 par John McCarthy de l’IA comme « la science et l'ingénierie de la fabrication de machines intelligentes », l’IA est devenue un pan complet de recherche appliquée regroupant plusieurs technologies basées sur des algorithmes mathématiques [2]. De nombreuses méthodes sont utilisées (Encadré 1), dont l’apprentissage automatique et les réseaux neuronaux. L’IA a bénéficié ces dernières années des progrès considérables de l’algorithmique d’une part, mais surtout du stockage et de la mise à disposition de volumineuses bases de données (big data) et de l’augmentation des puissances de calcul des ordinateurs d'autre part. L’IA actuelle est dite faible, c’est-à-dire uniquement capable d’imiter de façon grossière le comportement d'humains ; ses algorithmes font ce pour quoi ils ont été programmés, ils ne peuvent pas apprendre de façon autonome à résoudre un autre problème.

Encadré 1 : Quelques définitions et méthodes de fouille de données par IA.
•    Algorithme : est un mode d'emploi précis.
•    Réseau de neurones artificiels (neuronal networks) : ensemble de neurones artificiels (dispositifs informatiques à plusieurs entrées et une sortie) constituant une architecture de calcul ; il fait partie de l’apprentissage profond.
•    Analyse profonde ou fouille de données (data mining) : est l’ensemble des méthodes scientifiques permettant d’extraire l’information de la donnée.
•    Apprentissage automatique ou apprentissage machine  (machine learning) : processus par lequel un algorithme évalue et améliore ses performances sans l'intervention du programmeur, en répétant son exécution sur des jeux de données (training set) jusqu'à obtenir, de manière régulière, des résultats pertinents ; il peut être supervisé ou pas, renforcé ou pas.
•    Apprentissage automatique non supervisé (data clustering, unsupervised learning, unsupervised training) : l'algorithme utilise un jeu de données brutes et obtient un résultat en se fondant sur la détection de similarités entre certaines de ces données.
•    Apprentissage automatique supervisé (supervised learning, supervised training) : l'algorithme s'entraîne à une tâche déterminée en utilisant un jeu de données assorties chacune d'une annotation indiquant le résultat attendu ; il utilise souvent des réseaux de neurones artificiels.
•    Apprentissage automatique par renforcement (reenforcement learning) : un programme extérieur évalue positivement ou négativement les résultats successifs de l'algorithme.
•    Apprentissage profond (deep learning) : c’est de l’apprentissage automatique dans lequel le jeu de données est nettement plus important ; il utilise un réseau de neurones artificiels composé d'un grand nombre de couches.
•    Traitement automatique du langage naturel (natural language processing) : associe des outils informatiques (algorithmes, représentations vectorielles) et linguistiques (segmentation, étiquetage morpho-syntaxique, arbre syntaxique, sémantique, pragmatique, phonologie) de traitement de la langue naturelle.

Pour bien fonctionner, une IA a besoin de beaucoup d'informations et si les promesses de structuration et de mise à disposition des données de santé et des données environnementales sont au rendez-vous il faut s’attendre à des progrès considérables dans la compréhension et la prise en charge des maladies [3]. En détectant des anomalies dans des données structurées et en fournissant des évaluations automatisées et des conclusions par analyse du langage naturel, l’IA ouvre de nouvelles possibilités pour innover en matière de recherche, accélérer et sécuriser les pratiques cliniques diagnostique, thérapeutique et de prévention.

Et les choses ont déjà commencé

Ainsi, dans un travail récent, des médecins de l’université de Louvain en Belgique [4] ont démontré qu’un outil d’IA permet de classer correctement dans 100% les motifs d’épreuves fonctionnelles respiratoires (contre 74% par 120 pneumologues de 16 pays différents) et dans 82% les diagnostics (contre 44,6% par les médecins). Ces logiciels basés sur l'IA fournissent des interprétations instantanées complémentaires, plus précises et peuvent constituer un puissant outil pour améliorer la pratique clinique. Ils peuvent également prédire les milliers d’interactions médicamenteuses possibles. Ces outils d’aide à la décision médicale (Clinical Decision Support System) sont générés (mais pas toujours, par exemple dans le cas de l’apprentissage profond) à partir de base de données préalablement établies. Ces logiciels ont commencé à être intégrés directement dans le système d’information utilisé par les médecins (anglo-saxons le plus souvent) et permettent même de balayer les dossiers électroniques de santé (Electronic Health Records) des patients et de faire des suggestions de diagnostics (Encadré 2).

On comprend ainsi aisément que l’IA devrait être particulièrement utile et bénéfique en tant que deuxième avis pour les médecins débutants, pour les médecins spécialisés dans de vastes domaines, pour les cas particulièrement complexes, ainsi que dans les situations de charge de travail et de demande élevées, réduisant ainsi le risque d’erreurs médicales. Cependant ces systèmes peuvent également se tromper… et le médecin devra alors annuler / transgresser les propositions du logiciel.

Encadré 2 : Logiciels d’aide à la décision médicale connectés aux données électroniques de santé.
•    IndiGO, Archimedes
•    Auminence, Autonomy Health
•    Epocrates, Athena Health
•    DiagnosisOne, SmartPath
•    eClinicalWorks, Zynx Health
•    DXplain
•    CareCloud, Clear Interface
•    Clinical Key, FirstConsult Elsevier
•    SAS, Health Analytics
•    DeepMind, Google
•    Watson, IBM

L’IA en médecine permettra de soumettre des hypothèses diagnostiques, d’analyser automatiquement et d’exploiter les résultats d’examens complémentaires (ex. biologie, imagerie médicale, tests fonctionnels), de faire des propositions thérapeutiques pertinentes, personnalisées, de les suivre et donc à termes de proposer et d’évaluer les politiques de santé publique [5].

Si sécuriser la prise de décision est l’objectif majeur de l’IA appliquée en santé humaine, il en va de même de la gestion collaborative ou collective des cas complexes, l’une pouvant très bien renforcer l’autre.

La plateforme AdviceMedica fournit par exemple depuis janvier 2018 une solution de communication asynchrone en réseaux permettant à des médecins d’échanger sur les cas complexes qu’ils rencontrent. Les cas résolus sont stockés et se ressemblent parfois. Grâce aux outils de l’IA, la recherche de similarités et une aide à la décision y sont associés.

  1. Villani C. Donner un sens à l’intelligence artificielle. 2018. Disponible sur : https://www.aiforhumanity.fr/pdfs/9782111457089_Rapport_Villani_accessible.pdf (consulté le 10.11.2019).
  2. Vocabulaire de l'intelligence artificielle (liste de termes, expressions et définitions adoptés). JORF n°0285 du 9 décembre 2018 (consulté le 19.11.2019). Disponible sur :
    https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000037783813&categorieLien=id
  3. Raghupati W, Raghupati V. Big data analytics in health care: promise and potentia. Health Inf Sci Syst. 2014; 2: 3.
  4. Topalovic M, Das N, Burgel P-R, et al. Artificial intelligence outperforms pulmonologists in the interpretation of pulmonary function tests. Eur Respir J 2019; 53: pii: 1801660. doi: 10.1183/13993003.01660-2018.
  5. He J, Baxter SL, Xu J, Xu J, Zhou X, Zang K. The practical implementation of artificial intelligence technologies in medicine. Nature Med 2019; 25: 30-6.

Vignette auteur

Pascal Demoly

Coordinateur scientifique pour AdviceMedica.
Docteur en médecine, professeur de pneumologie, allergologue et chef de département au CHU de Montpellier.