Répondre aux questions des patients sur les médecines douces, alternatives, complémentaires

24 septembre 2020 - 8 minutes de lecture

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Plantes, champignons, compléments alimentaires, régimes, objets connectés, programmes d’activité physique, pratiques psychocorporelles, thérapies manuelles, psychothérapies, hypnose médicale, médiations, musicothérapies, programmes d’ETP… 70% des français en utilisent. Ces pratiques ne peuvent plus être ignorées des médecins. Certaines doivent être prescrites en première intention selon la HAS. Certaines sont remboursées. Comment s’y retrouver ?

Une nébuleuse entoure aujourd’hui en France les « médecines douces », médecines traditionnelles, médecines alternatives, thérapies complémentaires, remèdes naturels… Plus de 100 termes existent en français pour les qualifier [1]. Les amalgames vont bon train. Les charlatans encouragent subtilement les patients à se détourner de la médecine conventionnelle et des professionnels de santé.

Une omerta croissante

Des études montrent que des patients préfèrent ne plus parler de ces pratiques à leur médecin de peur d’être mal soignés ou d’être ridicules comme par exemple dans le cancer du sein [2]. Des médias peu scrupuleux, des vidéos attrayantes, des sites Internet et des réseaux sociaux (…) deviennent l’occasion de recruter des personnes fragilisées par un problème de santé. Des praticiens au nom obscur offrent leur service. Laissés sans surveillance, les offres de Fakemed explosent comme le constate le rapport 2019 de la DGCCRF sur le sujet [3].

L’usage de ces méthodes engage directement ou indirectement la responsabilité médicale

Prescrire un traitement biomédical sans savoir si un traitement complémentaire est pris pose problème. Il engage la responsabilité du médecin en cas d’interaction grave entre sa prescription et la médecine sensée être douce et naturelle (un antidépresseur et une plante comme le millepertuis par exemple), en cas d’échec thérapeutique (fracture osseuse due à une thérapie manuelle inadaptée) ou en cas de perte de chance (le jeûne dans un cancer curatif par exemple). Connaître les usages de ses patients, surveiller les pratiques non conventionnelles (dérives sectaires ou exercice illégal de la médecine par exemple), un devoir pour le médecin [4].

Nul ne peut plus ignorer ce domaine

Balayer d’un revers de la main ce domaine en recommandant au patient de manger équilibré, de bouger plus, de limiter sa consommation d’alcool et de pas fumer de suffit plus. Le médecin a plus que jamais le devoir de fournir une connaissance fiable, actualisée et fondée sur la science sur les bénéfices et les risques de ces pratiques. Il a aussi le devoir de partager la décision avec son patient de manière éclairée et pertinente et de suivre sa mise en œuvre auprès de professionnels qualifiés.

La science comme juge de paix

Les progrès de la recherche médicamenteuses ont été obtenus par l’accumulation d’études cliniques rigoureuses et indiscutables. Une phrase de Gilles Bouvenot (2006, p.13), expert en recherche clinique médicamenteuse, l’illustre : « jusqu’aux années soixante, nombre d’interventions thérapeutiques n’avaient encore pour seule justification, si l’on peut dire, que la force de la routine, l’attachement crédule à des traditions, ou la généralisation à partir de quelques exemples occasionnels et anecdotiques abusivement appelés expérience professionnelle » [5]. La recherche clinique non médicamenteuse a connu une croissance mondiale considérable depuis les années 2010 pour répondre aux nouveaux enjeux démographiques (e.g., maladies du grand âge) et sanitaires (e.g. maladies chroniques). Elle s’appuie sur les découvertes récentes en neuroscience, épigénétique et immunologie et l’essor des nouvelles technologies (e.g., biométrie connectée, IA). Ce mouvement ouvre vers une médecine non plus uniquement curative mais préventive, prédictive, personnalisée et participative. Des interventions non médicamenteuses (INM) détaillées dans des manuels précis, attestées par des études cliniques et confirmées par des revues systématiques se distinguent des médecines alternatives [6].

Les INM : Un nouvel arsenal thérapeutique

Les INM deviennent finalement non pas un frein pour le médecin mais un véritable atout. La prescription des INM et l’orientation vers des professionnels qualifiés est devenue une réalité. Elle progresse continuellement avec la science et désormais une ouverture des décideurs et des financeurs de santé. Elle est inscrite dans la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022 et les rapports de la HAS depuis 2011 [7].

« Une intervention non médicamenteuse (INM) est une intervention non invasive et non pharmacologique sur la santé humaine fondée sur la science. Elle vise à prévenir, soigner ou guérir un problème de santé. Elle se matérialise sous la forme d’un produit, d’une méthode, d’un programme ou d’un service dont le contenu doit être connu de l’usager. Elle est reliée à des mécanismes biologiques et/ou des processus psychologiques identifiés. Elle fait l’objet d’études d’efficacité. Elle a un impact observable sur des indicateurs de santé, de qualité de vie, comportementaux et socioéconomiques. Sa mise en œuvre nécessite des compétences relationnelles, communicationnelles et éthiques » (Plateforme universitaire collaborative CEPS, 2017).

Pour conclure, les INM ne sont pas des médecines parallèles ou des FakeMed. Elles viennent le plus souvent compléter les traitements biomédicaux. Elles sont encore trop appelées dans certaines spécialités médicales des soins de confort (péjorativement entendues comme accessoires) ou des règles d’hygiène (péjorativement entendues comme une action ne pouvant pas faire de mal). En réalité, il s’agit de soins à part entière qui pour plusieurs d’entre elles ont déjà fait l’objet d’études cliniques poussées et de suivi d’expériences par le bigdata. Ce suivi et partage d’expériences est une source précieuse et complémentaire d’informations, comme cela est de plus en plus souligné pour les interventions médicamenteuses [8].

 

 

  1. Ninot G (2020). 100 appellations différentes pour les médecines douces: Qu’est-ce que cela cache? Blog en Santé, L89 Ninot, BES http://blogensante.fr/2020/02/14/pourquoi-tant-dappellations/
  2. Lognos B, Carbonnel F, Boulze-Launay I, Bringay S, Guerdoux-Ninot E, Mollevi C, Senesse P, Ninot G. (2019). Complementary and alternative medicine in patients with breast cancer: An exploratory study of social network forums data. Journal of Medical Internet Research Cancer, 5(2):e12536 https://cancer.jmir.org/2019/2/e12536/
  3. DGCCRF (2019). « Médecines » douces ou alternatives : des insuffisances dans le respect de la règlementation https://www.economie.gouv.fr/dgccrf/medecines-douces-ou-alternatives-des-insuffisances-dans-le-respect-de-la-reglementation
  4. Académie Nationale de Médecine (2013). Thérapies complémentaires : Leur place parmi les ressources de soins. Paris : Académie Nationale de Médecine. http://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2013/07/4.rapport-Th%C3%A9rapies-compl%C3%A9mentaires1.pdf
  5. Bouvenot G, Vray M (2006). Essais cliniques: Théorie, pratique et critique. Paris: Lavoisier. https://e.lavoisier.fr/produit/9782257642240
  6. Ninot G (2019). Guide professionnel des interventions non médicamenteuses. Paris : Dunod. https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/guide-professionnel-interventions-non-medicamenteuses-inm
  7. HAS (2011). Développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées. Paris : HAS. https://www.has-sante.fr/jcms/c_1059795/fr/developpement-de-la-prescription-de-therapeutiques-non-medicamenteuses-validees
  8. Demoly P (2020). Les 5 principales sources de données en médecine. https://www.advicemedica.com/blog/5-principales-sources-de-donnees-medecine

Vignette auteur

Grégory Ninot

Professeur à l'Université de Montpellier (UM) et chargé de promouvoir la recherche sur les soins de support à l'Institut du Cancer de Montpellier (ICM). Spécialiste de l'évaluation des interventions non pharmacologiques (NPI) chez les patients atteints d'une maladie chronique ou d'un cancer.